Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 298)

280 LES RÈGLES GÉNÉRALES EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS savoir si le droit administratif constitue un ensemble de règles spéciales au regard du droit civil, comme semblait l’affirmer le Tribunal des conflits dans l’arrêt Blanco (2). 1. L’affirmation du rapport de spécialité en cas de croisement entre les normes 830. Les organes d’application du droit, le juge en particulier, utilisent parfois l’adage lex specialia generalibus derogant alors même que les deux catégories visées par les règles juridiques ne semblent pas être imbriquées mais bien plutôt se croiser. En cas de croisement entre les champs d’application des normes, il est a priori impossible d’établir quelle est la norme générale et quelle est la norme spéciale car les catégories sont au départ indépendantes. Néanmoins, en cas de conflit entre des normes qui se croisent, le juge peut décider que l’une s’applique à l’exclusion de l’autre. Par exemple, entre une norme selon laquelle les actes administratifs réglementaires doivent être publiés et une autre norme selon laquelle les actes administratifs des ministres doivent rester secrets, le juge va être amené à établir un rapport d’espèce à genre entre ces deux normes : il décidera que les actes réglementaires, à l’exception des actes ministériels, doivent être publiés, ou inversement15. 831. Ainsi, s’agissant de l’expropriation des forêts domaniales, le Conseil d’État a-t-il dû déterminer l’issue d’un conflit entre d’une part, l’article L. 62 du Code du Domaine de l’État qui prévoyait que les forêts ne pouvaient être aliénées qu’en vertu d’une loi et, d’autre part, l’article 9 de l’ordonnance du 23 octobre 1958 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique, en vertu duquel la cession amiable des biens du domaine privé de l’État intervenant pour la réalisation d’une opération qui a été reconnue d’utilité publique pouvait intervenir dans les conditions prévues par l’article L. 85 – devenu l’article R. 130 – du Code du domaine de l’État, c’est-à-dire avec le simple consentement du préfet. Estimant que l’aliénation litigieuse est intervenue « en vertu d’un texte législatif spécial, en l’espèce l’ordonnance du 23 octobre 1958 », la Haute juridiction a considéré que « la disposition de l’ordonnance du 23 octobre 1958 déroge[ait] à la règle posée par l’article L. 62 du Code du Domaine »16. 15. Toutefois, il arrive que le Conseil d’État opte pour le cumul des deux règles dont les champs d’application se croisent. Ainsi, en matière de licenciement, s’est posée la question de savoir si la législation relative au licenciement pour cause économique excluait l’application de la norme signifiée par l’article L. 412-14 du Code du Travail qui prescrit un avis conforme de l’inspecteur du travail pour le licenciement d’un salarié protégé. Il y a ici croisement entre deux catégories juridiques : le licenciement pour cause économique et le licenciement des salariés protégés. Le Conseil d’État a tranché en faveur du cumul des deux procédures, affirmant que « les dispositions de la loi du 3 janvier 1975 relative aux licenciements pour cause économique (…) n’ont ni pour objet ni pour effet de priver les salariés investis dans l’entreprise de fonctions représentatives du bénéfice de la protection particulière que leur accordent les dispositions du Code du travail » : CE, Ass., 31 oct. 1980, Ministre du Travail et consortium viticole et vinicole de Bourgogne, Leb., p. 404 ; AJDA 1980, p. 659, chron. p. 649. 16. CE, Sect., 9 nov. 1979, Ministre de l’Agriculture et Société d’aménagement de la Côte de Monts c/ Association pour la défense de l’environnement en Vendée, Leb., p. 406 ; AJDA 1980, concl. D. Labetoulle, p. 362-365. Désormais, l’article L. 3211-5 du Code général de la propriété des personnes publiques énonce que « les bois et forêts de l’État ne peuvent être aliénés qu’en vertu d’une loi » et prévoit in fine que « par dérogation aux dispositions du premier alinéa, les bois et forêts de l’État compris dans le périmètre d’une déclaration d’utilité publique sont cédés conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article L. 12-4 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dans les conditions précisées par décret en Conseil d’État » conformément à ce qu’avait décidé le Conseil d’État dans l’arrêt de 1979.

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