Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 196)

178 LES RÈGLES GÉNÉRALES EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS une distinction156, en mettant bien en lumière les différences entre les deux cas. Ce faisant, cette nouvelle solution d’espèce suppose la création d’une nouvelle règle générale. Toute modification de la jurisprudence suppose une nouvelle règle générale. Le juge ne peut pas se permettre de rendre une solution d’espèce qui ne serait applicable qu’entre les seules parties au litige. Lorsqu’il se prononce d’une certaine façon dans un cas d’espèce, il s’engage implicitement mais nécessairement à se prononcer de la même façon dans un cas d’espèce similaire. Les règles jurisprudentielles, qu’elles soient implicites ou explicites, vont lier les juridictions inférieures : si elles prononcent des sentences individuelles contraires aux règles jurisprudentielles générales créées par la juridiction suprême, celles-ci seront censurées. Si le juge décidait de statuer différemment sur chaque cas qui lui est soumis, les justiciables invoqueraient devant les juges supérieurs, d’appel ou de cassation, la violation des règles jurisprudentielles générales. 522. Mais le système juridique est configuré de telle manière que les juridictions suprêmes elles-mêmes sont contraintes de respecter les règles générales qu’elles ont créées. En effet, d’une part, si elles souhaitent que les juridictions inférieures adoptent les mêmes positions qu’elles, elles doivent nécessairement avoir une jurisprudence cohérente, adopter des règles générales c’est-à-dire susceptibles d’être connues à l’avance par les juridictions inférieures. Si le juge suprême change constamment de position, les juges soumis à son contrôle ne pourront pas lui obéir a priori. D’autre part, si les décisions des juridictions suprêmes différaient d’un cas d’espèce à l’autre, elles engendreraient un mécontentement trop important parmi les justiciables qui sont par ailleurs les électeurs. Le pouvoir constituant, composé de parlementaires élus, pourrait menacer, afin de satisfaire son électorat, de supprimer telle juridiction suprême du texte constitutionnel. Le système juridique est organisé de telle façon que pèsent sur les juridictions, aussi bien inférieures que supérieures, des contraintes qui les obligent à respecter les règles générales dans leurs solutions d’espèce. 523. Il y a donc toujours une règle générale. Ainsi le professeur Stéphane Rials explique-t-il que certains auteurs ont eu tort de considérer qu’« en cas d’absence de loi le juge ne mettait pas en œuvre une « règle » de droit générale, mais une « norme » purement individuelle »157. Au contraire, « c’est une vérité méthodologique indubitable aujourd’hui, il n’y a pas de jugement sans norme préalable »158. Ainsi les règles juridictionnelles, normes particulières, sont-elles soumises aux règles générales jurisprudentielles. 156. Sur la théorie des distinctions en droit anglais, v. notamment C. JAUFFRETSPINOSI, « Comment juge le juge anglais ? », Droits, n° 9, La fonction de juger, p. 57-67, en particulier p. 64 et s. Sur l’utilisation de la théorie des distinctions par le juge administratif français : V. C. LAVIALLE, « Réflexions sur un critère méconnu du contentieux administratif : La dissemblance », LPA 1987, p. 6-12. V. encore : C. LEMOINE, La distinction en droit, une approche épistémologique, thèse (dactylographiée), sous la dir. de J.-P. Chazal, Lyon 3, 2009. 157. S. RIALS, Le juge administratif français et la technique du standard (essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité), préf. de P. Weil, Paris, LGDJ, 1980, coll. « Bibliothèque de droit public », t. CXXXV, p. 223. 158. Ibid., p. 223. Il cite Kelsen : « Il est faux de croire que, si la décision des cas concrets n’est pas liée à des normes générales créées par la voie de la législation ou coutumièrement, les normes générales sont complètement exclues de la procédure de création de droit. Lorsque l’organe auquel un cas concret est soumis pour décision doit prendre une décision « juste », il ne peut le faire qu’en appliquant une norme générale qu’il tient pour juste. Puisqu’une telle norme générale n’a pas été créée par voie de législation ou de coutume, l’organe appelé à trouver le droit doit procéder exactement de la même façon que le législateur » (H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit., ici p. 251).

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