Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 183)

LA RÈGLE GÉNÉRALE, REMPART CONTRE L’ARBITRAIRE DES GOUVERNANTS 165 dès lors qu’elles sont qualifiées comme telles par ceux qui ont le pouvoir de dire le dernier mot, les « interprètes authentiques », c’est-à-dire en particulier les juridictions suprêmes. 472. Il en résulte que la typologie proposée par le professeur Denys de Béchillon n’est pas exhaustive car elle ne permet pas de classer l’ensemble des normes juridiques110. Par exemple, la qualification d’un acte d’administratif par le Conseil d’État, revient non seulement à affirmer sa compétence pour en connaître, mais aussi à l’insérer au sein de la hiérarchie des normes. Le rang des normes administratives a en effet été déterminé par le Conseil d’État. Lorsqu’au contraire, la Haute Juridiction administrative rejette la qualification d’acte administratif au profit de celle d’acte de gouvernement ou d’acte de droit privé, cela équivaut à exclure la norme signifiée par cet acte de la hiérarchie dont il a la maîtrise. Toutes les normes ne sont donc pas intégrées dans la hiérarchie créée par les juges du Palais-Royal : les normes privées et les normes signifiées par des actes de gouvernement en sont exclues. 473. Par ailleurs, cette hiérarchie n’est pas linéaire. Elle apparaît désordonnée, notamment en ce qui concerne la place des normes constitutionnelles. En effet, le Conseil d’État est parfois placé en position d’interpréter des normes constitutionnelles. Le fait d’accorder à une norme le label de norme constitutionnelle conduit à la faire prévaloir sur les normes administratives ou encore sur les normes internationales. Par exemple, dans l’arrêt Koné111, la Haute Juridiction choisit d’attribuer à une norme la qualification de principe fondamental reconnu par les lois de la République et non simplement de principe général du droit ou de norme législative, afin de la hisser au-dessus d’une convention internationale. Il existe en effet un consensus entre les différents interprètes authentiques du système juridique français, pour reconnaître aux normes constitutionnelles une valeur supérieure aux traités. Cet arrêt Koné montre à quel point le Conseil d’État est maître de la hiérarchie des normes : c’est lui qui a décidé en l’espèce que les dispositions de l’article 55 devaient être comprises comme signifiant la valeur supérieure des traités internationaux sur les lois, mais c’est aussi lui qui décide que telle ou telle norme est conventionnelle ou législative. Comme le fait observer Olivier Cayla, « le “dégagement” du PFRLR n’est rien d’autre que la décision d’imputer le texte formellement législatif [la loi de 1927 dont est dégagé le PFRLR] à la volonté normative non pas du simple commandant en second qu’est le législateur, mais du commandant suprême qu’est le constituant »112. 474. Dans certains cas, tout se passe comme si la norme constitutionnelle n’apparaissait plus comme la norme suprême. Le Conseil d’État a en effet forgé 110. On peut même aller plus loin en disant que toutes les normes ont une place dans une hiérarchie unique. En réalité, comme l’a montré Michel Troper, il existe plusieurs hiérarchies dans la mesure où il existe plusieurs interprètes authentiques. Il est vrai par ailleurs que ces hiérarchies ne fonctionnent pas indépendamment les unes des autres car les interprètes sont enserrés dans un faisceau de contraintes nées de la configuration du système juridique. 111. CE, Ass., 3 juill. 1996, Koné, Leb., p. 255 : le Conseil d’État affirme dans cet arrêt que les stipulations d’une convention d’extradition franco-malienne « doivent être interprétées conformément au principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l’État doit refuser l’extradition d’un étranger lorsqu’elle est demandée dans un but politique ». 112. V. O. CAYLA, « Lire l’article 55 : Comment comprendre un texte établissant une hiérarchie des normes comme étant lui-même le texte d’une norme ? », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 7 / 1999, p. 77-86, spéc. p. 82.

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