Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 163)

LA RÈGLE GÉNÉRALE, REMPART CONTRE L’ARBITRAIRE DES GOUVERNANTS 145 société : « L’homme est par nature un être social »14. Du fait même qu’il vit en société, dans l’interdépendance sociale, l’homme se trouve soumis à une règle sociale à laquelle il est obligé d’obéir car sans elle, la société ne pourrait pas exister15. Cette règle sociale se reconnaît à la réaction collective d’approbation ou de désapprobation que provoque sa violation16. La règle sociale se meut ensuite en règle juridique quand la masse des consciences individuelles considère que la réaction collective que provoque sa violation doit être socialement organisée, c’est-à-dire organisée et assurée par l’État. La règle de droit existe alors, même si elle n’est pas effectivement sanctionnée par l’État. Il suffit que la masse des individus pense que la sanction étatique doit être établie. L’opinion qu’une règle sociale doit être sanctionnée se produit dans la conscience des individus sous l’emprise d’un double sentiment : le sentiment de solidarité et le sentiment de justice. Duguit fait appel au « sentiment de justice » à partir de la seconde édition de son Traité de droit constitutionnel. Il ne s’agit pas d’une donnée objective, indépendante de la volonté de l’homme, d’une donnée de la raison, mais d’un sentiment subjectif et variable, « une notion plus ou moins vague que les hommes se forment à une époque et dans un groupe donnés, de ce qui est juste ou injuste »17. La loi positive est par suite, une simple constatation de ce droit objectif : le législateur est tenu par le droit objectif existant puisqu’il est obligé d’en opérer la constatation. Étant l’expression de la règle sociale, la loi positive, estime Duguit, est nécessairement générale : « Les gouvernants formulent les règles de droit parce que leur première mission est d’assurer la réalisation du droit. Cette règle de droit est la discipline sociale fondée sur l’interdépendance des hommes vivant en société. La loi positive est l’expression même de cette règle ; elle doit donc avoir les mêmes caractères et la même portée. Cette règle de droit est individuelle parce qu’elle s’applique aux individus ; mais elle est sociale parce qu’elle dérive de la société elle-même. Étant sociale, elle est générale »18. 422. Cette conception de la loi conduit Duguit à dénier aux actes législatifs contenant des dispositions individuelles et particulières la qualification de loi et, inversement, à qualifier de lois matérielles les règlements administratifs, ceux-ci étant effectivement munis d’une portée générale. Dans L’État, le droit objectif et la loi positive, il explique : « La langue politique en fait donne le nom de loi à tout acte émané d’un certain organe politique, qu’on qualifie de législatif ; mais ce n’est là qu’une fausse terminologie consacrée par l’usage et due à la confusion du point de vue formel et du point de vue matériel. Peu importe l’organe politique duquel émane l’acte. Il y a toujours loi, et il y a seulement loi, lorsqu’un acte fait 14. L. DUGUIT, Préface à la 3e édition du Traité de droit constitutionnel, t. 1, Paris, Éd. de Boccard, 1927, La règle de droit. Le problème de l’État, p. XIX. 15. L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, t. 1, op. cit., p. 66 : « Affirmer que l’homme est un être social (…) et qu’il ne peut vivre qu’en société, c’est affirmer en même temps l’existence d’une loi sociale. » 16. Ibid., p. 80 : « La norme sociale n’est pas autre chose que la loi inhérente au fait social, qui détermine l’attitude active ou passive que doivent prendre tous les membres du groupe pour que celuici et les individus qui le composent puissent vivre, se développer, loi dont la violation entraîne forcément une réaction, qui est le fait du groupe s’attachant naturellement à la loi qui préside à sa vie ». 17. Ibid., p. 118. Il donne des exemples : tout homme a le sentiment que chaque individu doit recevoir un salaire proportionnel à son travail ou qu’il doit avoir dans la société une place conforme au rôle qu’il y joue… 18. Ibid., p. 172.

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