Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 162)

144 LES RÈGLES GÉNÉRALES EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS abstraites, jamais un homme comme individu ni une action particulière. (…) en un mot toute fonction qui se rapporte à un objet individuel n’appartient point à la puissance législative ». L’édiction des actes particuliers incombe au gouvernement. Le souverain, législateur, édicte exclusivement des actes généraux. 419. Partant du constat que « l’homme est né libre, et [que] partout il est dans les fers »10, Rousseau cherche à préserver la liberté de l’homme dans la société. C’est la loi, expression de la volonté générale, qui par sa généralité, permet à l’homme de retrouver sa liberté, son indépendance à l’égard des volontés particulières des autres hommes. En revanche, la généralité de la loi ne garantit pas l’égalité. Rousseau a en effet une conception formelle de la généralité : la règle est générale dès lors qu’elle ne vise pas un individu ou un objet particulier, en d’autres termes, dès lors qu’elle vise une catégorie de sujets ou d’objets. Rousseau est tout à fait conscient du fait qu’une telle conception de la généralité ne permet pas d’assurer l’égalité entre les citoyens car « la loi peut bien statuer qu’il y aura des privilèges, mais elle n’en peut donner nommément à personne ; la loi peut faire plusieurs classes de citoyens, assigner même les qualités qui donneront droit à ces classes, mais elle ne peut nommer tels et tels pour y être admis »11. Comme le souligne le professeur Jean-Claude Douence, « l’impersonnalité de la règle ne garantit pas à elle seule le respect de l’égalité entre les individus qui y sont soumis »12. 420. Léon Duguit. Duguit et ses disciples de l’École de Bordeaux ont également développé une conception matérielle de la loi, la loi étant par nature générale. Pour Duguit, la règle de droit n’est pas créée mais simplement constatée par les gouvernants, elle n’est que la traduction, la reprise dans le droit positif d’une règle sociale, objective, à laquelle les hommes se soumettent nécessairement parce qu’ils vivent en société et parce qu’ils ne peuvent que vivre en société. Le Doyen de Bordeaux estime ainsi que la règle juridique est donc nécessairement générale parce qu’elle est relative à la société, ou, plus exactement, parce qu’elle dérive de la société, de l’interdépendance sociale entre les hommes. 421. En effet, prétendant traiter les faits sociaux comme des faits biologiques, à l’aide de la méthode expérimentale, Duguit développe une théorie réaliste – au sens comtien du terme – du droit et de l’État qu’il veut dégager de tout concept métaphysique13. Selon lui, l’expérience révèle que l’homme, en raison de sa constitution physique, intellectuelle et morale, ne peut vivre qu’en la liberté, mais bien une simple conséquence de l’exercice de la souveraineté par le souverain luimême. » V. M. TROPER, La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, Paris, LGDJ, 1980, p. 147. 10. Ibid. Livre I, Chap. I. 11. Ibid. Livre II, chapitre VI, « De la loi ». 12. J.-C. DOUENCE, Recherches sur le pouvoir réglementaire de l’administration, préf. de J.-M. AUBY, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », t. LXXXI, 1968, p. 415. 13. Cette théorie est développée dès le début du XXe siècle, dans deux ouvrages publiés en 1901 et 1903, L’État, le droit objectif et la loi positive, et, L’État, les gouvernants et les agents, puis dans les éditions successives de son Traité de droit constitutionnel. La première édition du Traité de droit constitutionnel, reprise d’un Manuel de droit constitutionnel paru en 1907, a été publiée en 1911, en même temps qu’une deuxième édition du Manuel, cette fois spécialement destinée aux étudiants. Une deuxième édition du Traité est parue de 1921 à 1925, en trois tomes, le premier contenant sa théorie réaliste du droit et de l’État. Duguit a ensuite entrepris une troisième édition de son Traité mais la mort l’a empêché de l’achever : il n’a pu publier que les deux premiers tomes. V. aussi : L. DUGUIT, Des fonctions de l’État moderne, étude de sociologie juridique, Giard et Brière, 1894, pp 3-4.

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