Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 161)

LA RÈGLE GÉNÉRALE, REMPART CONTRE L’ARBITRAIRE DES GOUVERNANTS 143 415. Mais nombreux sont les théoriciens qui, dès l’Antiquité, ont adopté une conception matérielle de la loi selon laquelle cette dernière ne peut ou ne doit être que générale, sans doute par mimétisme avec les lois de la nature. Un parallèle a en effet pu être dressé entre les lois juridiques et les lois naturelles, qui auraient en commun d’unir une certaine conséquence à une certaine condition : si on chauffe un corps métallique, il se dilate ; de la même façon, si une personne vole le bien d’autrui, elle doit être punie. Cependant, alors que la loi naturelle décrit un rapport de causalité, la loi juridique, de par la volonté d’une autorité normative, impute à un comportement-condition, une sanction (lato sensu) comme conséquence – c’est le principe d’imputation décrit par Hans Kelsen5. 416. Ainsi, pour Aristote par exemple, « la loi dispose toujours par voie générale et ne prévoit pas les cas accidentels »6. La loi, assimilée à la règle générale, constitue un rempart contre l’arbitraire des gouvernants. Généralité rime avec égalité et sécurité. 417. John Locke. Locke conçoit lui aussi la loi comme une règle générale, dans un souci d’égalité : « Ils gouverneront selon les lois établies et publiées, non par des lois muables et variables, suivant les cas particuliers ; (…) il y aura les mêmes règlements pour le riche et pour le pauvre, pour le favori et le courtisan, et pour le bourgeois et le laboureur »7. Néanmoins, le philosophe anglais est conscient des inconvénients de la généralité de la loi, incapable d’épouser la diversité des cas particuliers : il reconnaît donc au pouvoir exécutif la « Prérogative », c’est-à-dire « le pouvoir d’agir avec discrétion pour le bien public, lorsque les lois n’ont rien prescrit sur de certains cas qui se présentent, ou quand même elles auraient prescrit ce qui doit se faire en ces sortes de cas, mais qu’on ne peut exécuter dans de certaines conjonctures »8. 418. Jean-Jacques Rousseau. Mais c’est au nom de Rousseau que la conception de la loi comme règle générale est le plus spontanément associée. La loi, produit de la volonté générale, est nécessairement générale dans son objet, car il n’existe « point de volonté générale sur un objet particulier », écrit-il dans le Contrat social9. Il poursuit : « Quand je dis que l’objet des lois est toujours général, j’entends que la loi considère les sujets en corps et les actions comme 5. V. notamment, pour le dernier état de la pensée de H. KELSEN : Théorie générale des normes, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1996, pp. 27-32, p. 390. V. aussi : P. AMSELEK, « Lois juridiques et lois scientifiques », Droits 1987, n° 6, p. 131-141. 6. Politique, III, 10. Son disciple, Théophraste, dans son Traité des lois, au IVe siècle avant J.-C., fait dire à Pomponius : « les lois doivent être faites en vue de ce qui arrive le plus souvent, et non en vue d’évènements exceptionnels ». À Rome, Papinien définit la loi en ces termes : « lex est commune praeceptum » (fr.1, Digeste, De legibus, I, 3) et Paul affirme : « les législateurs ne tiennent aucun compte de ce qui n’arrive qu’une fois ou deux » (Digeste, De legibus, I, 3). V. encore : « lex de se est generalis » (F. SUAREZ, De legibus, lib. 1, cap. 6, n° 12, cité par É. ARTUR, « Séparation des pouvoirs et séparation des fonctions », op. cit., p. 219) ; « aucune loi n’est faite pour servir seulement ou à une seule personne ou à un seul cas (…) les volontés des princes qui sont bornées à des personnes particulières et à des faits singuliers (…) ne sont pas des lois » (J. DOMAT, Traité des loix, cité par J.-C. BÉCANE, M. COUDERC, La loi, Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 1994). 7. J. LOCKE, Traité du gouvernement civil (1690), chapitre XI, GF-Flammarion, 1992, p. 250. 8. Ibid., p. 249. 9. J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social (1762), Livre II, Chap. VI, « De la loi ». Si Rousseau décrit la loi comme si elle était nécessairement, par nature, générale c’est parce que dans le système qu’il imagine, c’est le peuple qui est souverain et le peuple ne peut statuer que sur un objet général : « La généralité de l’objet n’est pas, du moins à ce stade, une exigence de Rousseau, un critère de

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