Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 118)

100 LES RÈGLES GÉNÉRALES EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS 304. Admettre cette double dimension du champ d’application des normes a nécessairement des conséquences sur la définition de la généralité de la règle de droit. En effet, dans cette optique, la généralité de la règle de droit devient double : elle peut être personnelle ou matérielle. Les règles générales sont non seulement celles qui visent des personnes juridiques, abstraction faite des individus auxquelles elles correspondent, des catégories personnelles, mais aussi celles qui visent des comportements définis abstraitement, des catégories matérielles. La généralité personnelle est l’impersonnalité, forme spécifique d’abstraction. Le terme « abstraction » pourrait donc être réservé pour les règles matériellement générales. 305. Déjà, dans le Contrat social, on peut lire sous la plume de Jean-Jacques Rousseau : « Quand je dis que l’objet de la loi est toujours général, j’entends que la loi considère les sujets en corps et les actions comme abstraites, jamais un homme comme individu, ni une action particulière »30. Il distinguait donc bien les sujets et les actions. 306. Même si la doctrine du début du siècle dernier tendait à assimiler généralité et impersonnalité, beaucoup d’auteurs distinguaient bien les personnes et les cas visés par une norme. Émile Bouvier et Gaston Jèze, par exemple, estimaient que « générale quant à sa portée d’application, la loi régit tout un ensemble d’êtres ou de phénomènes31 sans en excepter aucun »32. Quant à Léon Duguit, il écrivait : « On reconnaît qu’une disposition est une règle générale et abstraite, quand elle ne s’épuise pas par son application dans un cas prévu et déterminé d’avance, quand elle survit à cette application, alors même qu’en fait elle ne s’applique qu’à un seul cas33, ou même qu’à un seul individu »34. Pour Maurice Hauriou également, « que la loi soit une règle générale signifie plusieurs choses : d’abord, qu’elle s’adresse également à tous (…) ; ensuite, qu’elle s’applique aussi bien aux temps à venir qu’au temps présent (…) ; enfin, cela signifie ou peut signifier que la loi ne doit viser que des relations sociales d’ordre général et envisagées d’une façon abstraite, qu’elle n’est point faite pour les cas particuliers et concrets35 »36. 307. Plus près de nous, Michel Virally affirme clairement qu’une norme juridique est constituée par un élément matériel et par un élément personnel. Tandis que celui-ci reflète sa portée plus ou moins générale, celui-là correspond au caractère plus ou moins abstrait de la règle37. André Grisel adopte la même position : « Les règles de droit sont générales et abstraites. Générales, elles s’appliquent à un nombre indéterminé de personnes, s’opposant aux actes individuels qui s’adressent à une ou plusieurs personnes déterminées. Abstraites, elles visent un nombre indéterminé de situations, se distinguant des actes concrets qui ont trait 30. J.-J. ROUSSEAU, Du Contrat social, livre II, chap. VI, « De la loi », La Pléiade, p. 379. 31. Souligné par nous. 32. É. BOUVIER et G. JÈZE, « La véritable notion de la loi annuelle de finances », Revue critique de législation et de jurisprudence, t. XXVI, 1897, p. 428. 33. Souligné par nous. 34. L. DUGUIT, L’État, le droit objectif et la loi positive, op. cit., p. 502. 35. Souligné par nous. 36. M. HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, op. cit., p. 564. 37. M. VIRALLY, La pensée juridique, op. cit., p. 46 : « Il ne suffit pas que la relation juridique ait un contenu. Il faut encore que soit déterminé entre qui elle va s’établir ».

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