Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 103)

LES RÈGLES GÉNÉRALES, DES RÈGLES CATÉGORIELLES 85 255. On trouve ainsi beaucoup de lois qui, en dépit de leur apparence, ne sont pas générales. Par exemple, la loi du 14 août 1884 déclarant inéligibles les membres des anciennes familles régnantes ne vise pas une catégorie car l’ensemble des membres des familles régnantes est temporellement clos par l’adjectif « anciennes ». Il en est de même de la loi du 9 juillet 1907 ordonnant le renvoi anticipé des « militaires du 19e régiment d’infanterie qui ont manqué le 21 juin 1907, à tous les appels depuis le réveil jusqu’à midi », ou encore de celle du 18 octobre 1999 qui vise « les personnes qui ont participé sous son autorité [celle de la République française] à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie ou au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 ». 256. Certains civilistes, spécialistes des conflits de lois dans le temps, ont repris la distinction définie par le professeur Pierre Mayer en droit international privé. Ainsi ont-ils mis en lumière la particularité des lois rétroactives. Ces lois ne sont pas des règles, au sens où l’entend Pierre Mayer, mais des décisions. Effectivement, ce sont des normes qui ont l’apparence de règles générales dans la mesure où elles visent des ensembles de personnes. Mais elles n’en ont que l’apparence puisque ces ensembles sont des cercles fermés dont la contenance est insusceptible de variations. 257. Ainsi le Doyen Héron considère-t-il que la règle appliquée à des faits passés se transforme en une série de normes différentes, des décisions, c’est-à-dire des normes concrètes et catégoriques : « La rétroactivité attire le regard par la mutation de la norme nouvelle qu’elle opère. Pour ce qui est de son application rétroactive, celle-ci se transforme en une décision. La norme perd ses caractères abstrait et hypothétique, qui en faisaient une règle, pour devenir concrète et catégorique. En faisant rétroagir une norme, l’autorité ne pose plus une disposition destinée à régir le comportement d’un nombre indéterminable de sujets de droit, elle donne un ordre à un nombre invariable de destinataires »251. Soit la norme : « Les personnes mariées sous le régime de la communauté légale doivent solliciter l’autorisation de leur conjoint pour disposer des biens mobiliers d’une valeur excédant 1500 euros ». Si la norme est appliquée rétroactivement, les deux caractères retenus « être une personne mariée sous le régime de la communauté légale » et « disposer d’un bien mobilier d’une valeur excédant 1500 euros » désignent également les personnes dénombrables qui, effectivement mariées sous ce régime, auront accompli dans le passé un tel acte de disposition. 258. Pierre Fleury-Le Gros reprend la thèse de Jacques Héron mais en la nuançant légèrement252 : selon lui, il n’y a pas mutation de la règle nouvelle en une série de décisions collectives mais création concomitante d’une règle et d’une série de décisions. Une loi nouvelle qui doit régir à la fois des faits passés et des faits futurs est constituée d’une règle pour régir les faits futurs et d’une ou de plusieurs décisions pour régir les faits passés. 259. L’auteur précise que le législateur n’a parfois pas le choix : au lieu d’édicter une série de décisions individuelles, il devra édicter une décision collective. 251. J. HÉRON, « Étude structurale de l’application de la loi dans le temps (à partir du droit civil) », RTD civ. 1985, p. 277-333, ici p. 332 ; v. aussi : Principes du droit transitoire, Paris, Dalloz, coll. « Philosophie et Théorie générale du droit », 1996. 252. P. FLEURY-LE GROS, Contribution à l’analyse normative des conflits de lois dans le temps en droit privé interne, préf. de L. Bach et P. Mayer, postface de J. Petit, Paris, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », 2005, ici p. 100.

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