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Le projet de réforme du droit des obligations : incidences sur le régime des cessions de droits sociaux droit aux intérêts légaux sur la somme due même en l'absence de toute mise en demeure 42. Devrait aussi être maintenue la solution énoncée par une chambre mixte selon laquelle si l'inexécution préjudiciable est définitivement acquise, la mise en demeure n'est pas nécessaire pour obtenir des dommages et intérêts compensatoires 43. B. Les remèdes à l'inexécution 42. Le projet d'ordonnance comporte, pour bien marquer son attachement au respect de la loi contractuelle, toute une section (rattachée à un chapitre sur les effets du contrat) traitant de l'inexécution (C. civ., art. 1217 et s.). Aux termes exprès du projet, il s'agit de « remèdes » (C. civ., art. 1217, al. 6). Ce faisant, l'objectif affiché est moins de sanctionner que d'obvier à l'inexécution, donc de permettre d'obtenir, fûtce indirectement, l'exécution. Outre le très classique mécanisme de l'exception d'inexécution 44, trois remèdes sont envisagés auxquels il convient de prêter quelque attention  : l'exécution forcée en nature (1), la réduction du prix (2), la résolution unilatérale (3). 1. L'exécution forcée en nature 43. Est d'abord affirmée l'existence d'un droit à l'exécution forcée en nature (C. civ., art. 1221 et s.). L'article 1221 dispose ainsi que « Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou si son coût est manifestement déraisonnable ». Formellement, ce remède est présenté comme le premier de la liste des remèdes « actifs » à l'inexécution, sans doute celui à privilégier, même si, substantiellement, rien n'est dit de tel dans les textes. La portée de ce texte est toutefois discutée par les premiers commentateurs du projet. D'un côté, certains soulignent que, pour la première fois, est très clairement affirmée cette prérogative, que n'énonce pas aussi clairement l'actuel article  1184 du Code civil. À quoi on pourrait toutefois objecter que, en matière de cession d'actions ou de parts sociales, la jurispru42 Cass. com., 5 oct. 1999, n° 97-17377 : Bull. civ., IV, n° 163 ; Cass. com., 5 déc. 2000, n° 98-12913, F-D, qui rattachent la solution au caractère frugifère des parts sociales. 43 Cass. ch. mixte, 6 juill. 2007, n° 06-13823 : Bull. civ., ch. mixte, n° 9, à propos de vente de bouteilles de vin. 44 Déjà affirmé en matière de vente mais au profit du seul vendeur par l'article 1612 du Code civil, ce principe reçoit désormais une définition générique à l'article 1219 du projet, qui reprend les solutions jurisprudentielles (exigence que l'inexécution soit suffisamment grave). Les solutions jurisprudentielles antérieures devraient donc être maintenues, y compris (sans doute) celles admettant la possibilité d'invoquer l'exception d'inexécution par anticipation : Cass. com., 2 févr. 1993, n° 91-17167 : Bull. civ., IV, n° 46, admettant qu'un cessionnaire de parts sociales puisse suspendre le paiement des sommes restant dues, au motif qu'il pourra prochainement faire jouer une clause de garantie stipulée en sa faveur. Bulletin Joly Sociétés * Mai 2015 dence admet sans difficulté de faire jouer l'exécution forcée en nature, c'est-à-dire, si on se place du côté du cessionnaire, admet de prononcer une décision valant titre 45 ou, dans l'hypothèse d'un pacte d'actionnaires, d'enjoindre, même en référé, d'offrir de céder les titres conformément aux stipulations du pacte 46. D'un autre côté, plusieurs observateurs ont fait remarquer que la restriction apportée (« sauf [...] si son coût est manifestement déraisonnable ») cèle un réel danger menaçant de réduire à peu de chose le principe de la force obligatoire du contrat 47. Il est vrai que la jurisprudence actuelle ne prend guère en compte une telle exception ; et celui qui est en droit d'obtenir la parfaite exécution du contrat l'obtient, quoi qu'il en coûte au débiteur 48. Un arrêt, certes non publié, a même expressément affirmé «  qu'une obligation contractuelle peut faire l'objet d'une exécution forcée indépendamment de la gravité du manquement contractuel » 49. 44. Le libellé de l'article 1221 est-il susceptible d'avoir une incidence dans les contrats organisant la cession d'actions ou de parts sociales  ? C'est peu vraisemblable. Si on considère la question du point de vue du cédant, on ne voit pas quel «  coût manifestement déraisonnable » pourrait être invoqué dans l'hypothèse où le cédant serait, au jour où il s'engage, titulaire des parts ou actions, objet du contrat (sans quoi l'exécution en nature est a priori impossible 50). Si on se place du côté du cessionnaire, débiteur du prix, l'exécution en nature perd de sa spécificité. Partant, l'hypothèse d'un coût déraisonnable rejoindrait celle de l'imprévision 51 (v. infra, n° 49). 45 V., parmi beaucoup d'autres exemples, Cass. com., 10  juin 1976, n° 74-14595 : Bull. civ., IV, n° 190 - CA Paris, 3e ch., sect. A, 1er déc. 1992, n° 91-009033 : BJS mars 1993, p. 358, n° 98, note A. Couret. 46 CA Paris, P. 1, ch. 3, 14 févr. 2012, n° 11/14683 : BJS juill. 2012, p. 553, n° 312, note G. Kessler et M. Tazi. 47 Sur cette controverse, V. T. Genicon, « Contre l'introduction du « coût manifestement déraisonnable » comme exception à l'exécution forcée en nature » : Dr. & patr. oct. 2014, p. 63 ; D. Mainguy, « L'exécution forcée du « coût manifestement déraisonnable » à la reconnaissance d'un « droit d'option » » : Dr. & patr. oct. 2014, p. 60. 48 V. en matière de contrat de construction, pour une demande de démolition d'une maison au motif que le niveau de la construction présentait une insuffisance de 0,33 mètre par rapport aux stipulations contractuelles, Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n° 03-21136 : Bull. civ., III, n° 103, cassation de l'arrêt qui n'a pas ordonné la démolition de l'ouvrage aux motifs que la non-conformité ne rendrait pas l'immeuble impropre à sa destination et ne porterait pas sur des éléments déterminants du contrat. 49 Cass. 3e civ., 22 mai 2013, n° 12-16217, F-D : RDC 2014, p. 22, note Y.-M. Laithier, en matière de bail commercial. 50 Rappr. Cass. 1er civ., 27 nov. 2008, n° 07-11282 : Bull. civ., I, n° 269, censurant une cour d'appel qui avait ordonné au propriétaire d'un local à usage d'habitation de délivrer ce bien sous astreinte à celui avec qui il avait conclu un contrat de bail alors qu'elle avait relevé que ce local avait été loué à un tiers. 51 Telle est du reste l'analyse qui prévaut pour l'article 7.2.2 b, des Principes Unidroit, dont s'inspire manifestement le projet d'ordonnance : ce texte, qui énumère les situations où, par exception, le créancier ne pourra pas demander l'exécution, vise le cas où « l'exécution [...] exige des efforts ou des dépenses déraisonnables » ; ce qui correspond 255

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